La trilogie(3) - Solitude de S

 

 

 

Solitude de Sans Temps

 

 

Attends! Attends!

- J'attends, j'attends.

Qu'as-tu, qu'as-tu, mon amour?

Tu sais que je t'aime, mais je ne peux pas rester avec toi.

Tu sais, je suis ni avec toi, ni sans toi.

- Moi non plus

 

 

J'étais perdu et j'attendais que le temps me donne une issue.

J'attendais en fait l'amour qui arriverait avec le temps. 

 

La vie est un livre. On va de la première page à la dernière page.

Je faisais exprès d'ignorer la fin. Je voulais retenir tous les plaisirs connus, et les faire durer. Je voulais aller plus haut, pensant que plus haut se trouveraient mon avenir, mon espoir, mon paradis. 

 

Pourtant, tous les livres sont irréversibles. Chaque page est unique, le numéro ne se répète jamais. La première page se pose au-dessus de la deuxième page, la deuxième au-dessus de la troisième, et ainsi de suite. Ne pouvant pas m'échapper du passé, je supporte mal le poids qui s'alourdissait sans cesse au-dessus de moi. Je ne pouvais que m'enfoncer de plus en plus bas. C'était un monde de mensonge, tout en descendant, je me croyais aller de plus en plus haut. Le poids que je portais était si lourd que je suis tombé malade. Mon esprit se flétrissait avec le temps. 

 

Chaque jour, je me disais que tout irait mieux, que je remonterais plus haut plus tard. Je continuais à porter tous mes beaux souvenirs, plaisirs, espoirs, et je ne cessais de collectionner toutes les belles choses. Tout cela est devenu une masse de plus en plus encombrante, et ce jusqu'à m'étouffer. Je voulais enlever cette masse, mais elle n'avait ni forme, ni poids. Elle bloquait pourtant ma respiration, ma circulation. 

 

Ce qui devait arriver finit par arriver, ainsi est-il arrivé cet accident imprévu! Un grand coup inopiné a tout brisé, mes beaux souvenirs, plaisirs, espoirs, et... , et cet amour dont j'ai tellement rêvé, ce mot que je n'osais plus prononcé. Tout déchiré, je ne savais comment me reconstituer. Je n'avais plus envie de vivre, et je n'avais plus peur de mourir. Ce n'était qu'en tout désespoir qu'on pouvait regarder la vie comme elle. La masse en moi s'est mise à se transformer en fluide noir. Je vomissais, l'eau noire s'écoulait de toutes mes cellules. J'ai fini par accepter que la vie ait une fin, que tout se détruise. On ne pouvait rien amener, on pouvait donc renoncer à tout. 

 

La vie est un livre. Chaque livre a sa dernière page. Un livre est un livre car il a déjà une fin imprimée. Il ne faut pas ignorer cette fin, sans laquelle un livre ne serait pas un livre. Lorsque, de cette fin, on considère le livre entier, toutes les pages ne sont que des pages précédentes. Si la mort est tout au bout, si elle est la fin de tout, alors tous les jours de la vie sont des jours précédents, tout est Hier.

Ainsi meurt-on à la fin, écrasé par le poids de toutes les pages ?

Non.

J'avais simplement oublié d'ouvrir le livre. Je vivais dans un livre fermé avec tout son poids étouffant. Avec le grand coup, ma vie est désormais ouverte. Le liquide noir répandu de moi dessine sur le papier vierge. Chaque page est une nouvelle page, au-dessus de chaque page est un ciel immense. Le soleil l'éclaire, le nuage l'adoucit, la pluie l'arrose, et le vent la caresse. Chaque page se tourne en silence. J'écris d'une page à l'autre, sans penser y laisser de traces. Je ne lis que la page ouverte, son numéro m'est égal. 

 

Un homme m'appelle moi, tel qu'un mot m'appelle moi. Je suis en moi, en même temps je ne suis pas en moi. Je suis moi et je ne suis pas moi. En bref, je ne suis pas que moi. Il ne faut pas que je m'enferme, rien ne doit être figé. 

 

Des hommes passent et disent : "Le pauvre, c'est cent ans de solitude qui l'attend." Je souris, je ne parle plus. Quoi que je dise, ils ne peuvent pas m'écouter. Un livre fermé est un livre mort. Ils n'entendent que l'écrasement des pages contre les pages. 

 

Je n'attends plus. Cent ans de solitude, ce n'est rien, j'ai déjà ma solitude de sans temps. Une fois le livre ouvert, il n'y a plus de limite, leur Temps ne peut plus me limiter. 

 

De loin vient une personne. Un être qui a mon âge, ma taille, avec la même allure que moi. Il arrive devant moi. Il est si beau, si doux, si touchant que je ne peux pas m'empêcher de l'embrasser. On s'embrasse tellement qu'on devient un ensemble.

Il est en moi, l'Amour est en moi. Il ne me manque plus. Il ne me manque plus rien. Je me suis tellement manqué. 

 

Je suis ma solitude de sans temps.

 

 

 

 "Dans l'autre pièce, Rateau regardait la toile, entièrement blanche, au centre de laquelle Jonas avait seulement écrit, en très petits caractères, un mot qu'on pouvait déchiffrer, mais dont on ne savait s'il fallait y lire solitaire ou solidaire."

                                         --Albert Camus, Jonas ou l'artiste au travail

arrow
arrow
    創作者介紹
    創作者 歐洋 的頭像
    歐洋

    九月的春天 - On connaît la chanson

    歐洋 發表在 痞客邦 留言(0) 人氣()